Comment convaincre ? Témoignages d’élus et de techniciens
Le quotidien d’un élu ou d’un chargé de mission implique de se retrouver parfois dans des situations allant du dialogue compliqué au conflit ouvert avec certains interlocuteurs. Comment s’en sortir ? Comment réussir à faire avec l’autre (ou les autres) lorsque son (leur) assentiment est indispensable pour permettre au projet d’avancer ? Une fois n’est pas coutume, plusieurs élus et techniciens viennent partager leur expérience de séquences compliquées voire hostiles. Des témoignages éclairés en contrepoint par l’analyse d’Anne-Hélène Clément, experte en communication non violente. Un atelier inhabituel et à cœur ouvert qui démontre combien sans la forme, le fond peut ne pas passer. Une lecture strictement réservée aux adhérents du Réseau vélo et marche, tirée de la table ronde des 28es Rencontres Vélo & Territoires à Vannes.
Cas concrets et témoignages de chargés de mission
Cas n°1 – Perrine Roy, du Pays Voironnais (Isère) – Lors d’une réunion publique pour présenter un projet de fermeture temporaire d’une voie pour études de trafic, l’intervention a viré au fiasco. Le projet, qui faisait partie d’un schéma vélo, a été abandonné après une réunion où les échanges ont été marqués par des tensions allant jusqu’aux agressions verbales et physiques. La rupture du dialogue illustre toute la difficulté qu’il y a pour les élus à réussir à convaincre, lorsque les enjeux sécuritaires sont au cœur des inquiétudes de l’auditoire.
Cas n°2 – Carole Garry, des Pays de la Loire – Dans le cadre de l’extension des stationnements pour vélos autour d’une gare, des tensions ont émergé lorsque la proposition consistant à réduire le nombre de places pour voitures pour aménager des stationnements vélo s’est heurtée à l’opposition de nombreux acteurs locaux, y compris les aménageurs, malgré des données qui montraient la pertinence de la solution.
Cas n°3 – Jean-Michel Polge, de Bréville-sur-Mer (Manche) – Dans une commune rurale, le projet de transformation de petites voies en voies vertes a rencontré une forte opposition de la part des agriculteurs et d’autres usagers traditionnels. Ces tensions ont manifesté la difficulté de concilier les nouveaux usages urbains et les pratiques rurales.
Autre témoignage de l’assistance
Des difficultés de dialogue sont signalées avec des vélocistes professionnels, qui perçoivent les politiques cyclables des collectivités comme une concurrence, ainsi qu’avec des forces de l’ordre au discours « anti-cyclistes ». Ces blocages ont révélé la complexité de créer un consensus avec des acteurs aux intérêts divergents.
Du rôle central du dialogue et de la concertation
Ces témoignages introductifs montrent que, face à de telles résistances, le maintien du dialogue reste l’horizon essentiel. Sophie Simonnet, conseillère départementale référente du Plan vélo du Calvados, insiste ainsi sur l’importance de la concertation pour créer « du collectif et de l’adhésion ». Elle met en avant la nécessité de responsabiliser les différents acteurs en les impliquant dans la définition du projet. En cas de tensions, ce processus de concertation permet de renforcer l’appropriation des projets.
Témoignages d’élus
Pour Jean-Marie Tétart, président de la communauté de communes du Pays houdanais, il s’agissait de convaincre des élus et des riverains de la nécessité du cyclable dans un territoire rural très intégré. Cela lui a valu des réactions hostiles allant jusqu’à des manifestations de tracteurs et des barricades. Ayant constaté le manque d’intérêt initial de ses interlocuteurs lors des consultations publiques, puis une mobilisation intense contre une fois la phase de mise en œuvre engagée, l’élu en a tiré deux enseignements : 1) engager et responsabiliser les parties prenantes dès le départ, en les associant à l’élaboration de leurs propres schémas cyclables voire de leur budget et 2), recourir à des tiers neutres pour dépassionner le débat – en l’occurrence le CEREMA, le Préfet, la Chambre d’agriculture, la FNSEA…
Sophie Simonnet témoigne d’une réunion publique, peut-être insuffisamment cadrée en amont, qui a tourné au vinaigre, au point que ses émotions lui ont fait perdre le contrôle. Pour ne plus avoir à se retrouver dans cette situation, elle privilégie désormais les réunions en petit comité avant d’envisager des rencontres avec un public plus nombreux. Elle tâche également de cadrer les débats dès le départ, en fixant des règles claires sur les prises de parole et les temps d’intervention. Et s’efforce d’anticiper les blocages en se gardant une stratégie sous le coude pour canaliser les tensions et inclure des personnes aptes à apaiser les conflits. Selon l’élue départementale, la concertation amont est primordiale pour créer « du collectif et de l’adhésion ». Les différents acteurs doivent être responsabilisés et impliqués dans la définition du projet. En cas de tensions, ce processus de concertation renforce l’appropriation des projets.
Fabien Bagnon, vice-président délégué à la Voirie et aux mobilités actives à la Métropole de Lyon, lui, s’est heurté à l’opposition plus ou moins frontale de commerçants et d’élus locaux sur des projets d’aménagements ayant une incidence sur la desserte automobile d’une rue très passante. Les enseignements à retenir de cette expérience qui s’est étalée dans le temps, seraient de commencer par la concertation directe avec les élus pour établir une relation de confiance en amont des réunions publiques. Ce serait l’occasion de proposer des expérimentations pour démontrer in situ la faisabilité et les avantages du projet. Enfin, il peut être utile de clarifier les intentions et les objectifs. Ne pas arriver avec un projet déjà ficelé mais, au contraire, le coconstruire avec les parties prenantes semble être le meilleur moyen d’éviter la confrontation.
Coralie Bourdelain, vice-présidente déléguée aux Dessertes des territoires peu denses et à l’accessibilité au Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG), a dû gérer une réunion tendue avec des interlocuteurs plus nombreux que prévu et en désaccord entre eux. Pour éviter cela à l’avenir, trois chemins sont à privilégier. D’abord poser un cadre d’échange et s’y tenir – cela vaut par exemple pour le nombre d’invités, avoir un interlocuteur en face ce n’est pas la même chose que huit. Ensuite garder en tête que l’opposition rencontrée vise la fonction, et non la personne. Enfin, diluer les tensions en répartissant les temps de parole pour éviter la surcharge émotionnelle.
Plusieurs retours d’expériences sont également venus du public de cette table ronde. Parmi les difficultés rapportées, il y a celle de réussir à convaincre un public peu sensibilisé aux avantages des projets cyclables. Il y a aussi le manque de compréhension mutuelle entre les acteurs concernés, ainsi que les inévitables tensions nées d’intérêts ou de priorités antagonistes voire incompatibles.
Des relations interpersonnelles solides bâties en amont aident à mieux cerner les réalités et enjeux de chacun. Idem, parvenir à mettre en avant des objectifs fédérateurs comme la revitalisation des centres-bourgs ou la santé des enfants aide à avancer autour d’un but commun. Enfin, l’approche progressive (expérimentations, balades terrain) restent le moyen le plus sûr de progressivement sensibiliser son interlocuteur.
L’œil d’Anne-Hélène Clément experte en communication non violente, coach-formatrice à Odyssée Création
Il est important de comprendre que chaque interlocuteur arrive avec sa propre « carte du monde » et ses priorités. Il faut toujours garder en tête que « tous les êtres humains passent leur journée à essayer de répondre à leurs besoins. Des besoins profonds de considération, d’alimentation, d’épanouissement etc. » Si ces besoins ne sont pas pris en compte, la discussion a peu de chances d’avancer.
Marshall Rosenberg, le créateur de la communication non violente, disait que l’on doit choisir entre « avoir raison » et « être heureux ». Dans des contextes de confrontation, chercher à convaincre coûte souvent plus cher que de chercher à comprendre et à construire un dialogue respectueux.
Dans toute communication, il y a des émetteurs et des récepteurs. Ce qui bloque cette communication, ce sont les bruits, les interférences. Il peut s’agir d’une question de vocabulaire employé, de croyances, d’entourage, d’a priori, tout ce qui peut « nous empêcher d’entendre ce que l’autre dit ».
À côté de cela, il y a tout ce qui relève du registre émotionnel, lorsque le vécu et les expériences antérieures viennent résonner… Du côté des chargés de mission et des élus, il peut y avoir des injonctions et des objectifs à atteindre à une date donnée qui rendent sourds aux réalités de l’Autre. Chacun arrive avec sa culture, sa carte du monde, ses échéances et sa temporalité… « À titre personnel, quand je sais que quelqu’un cherche à me convaincre, ça a tendance à m’énerver. Comme lorsque vous mettez vos deux coudes à l’horizontale et que vos deux mains se repoussent l’une l’autre, plus on cherche à pousser et à convaincre, plus l’autre se mettra en résistance. » Tout l’enjeu est de réussir à faire avec, et non pas contre.
Les « oui-mais » sont la matrice des dialogues de sourds. Lorsqu’il y a argumentation et contre-argumentation, chacun campe sur sa colline. L’enjeu est de parvenir à se mettre sur la colline de l’autre pour prendre en compte sa réalité. Pour cela le recours à un tiers permet effectivement de dépassionner le débat. Coconstruire quelque chose où chacun va pouvoir y trouver son compte, répondre à ses besoins. L’idée n’est pas d’être gentils mais d’être efficaces. L’ennui c’est que personne ne ressort grandi d’un passage en force. Il est important d’en tirer les leçons pour la fois suivante.
Il ne faut pas négliger le rôle des émotions dans les échanges. Un participant en colère, par exemple, n’entend souvent plus raison. C’est là que les interférences (vocabulaire, aprioris, émotions) peuvent nuire à la communication. Lorsque les gens sont agressifs dans leurs revendications, il faut se souvenir qu’ils parlent d’abord d’eux-mêmes. Il est important de ne pas prendre personnellement les agressions. Il est essentiel, pour les élus, de ne pas se laisser submerger par les émotions, et de reformuler les préoccupations de l’autre pour le rassurer et maintenir un dialogue constructif.
Être dans l’émotion, c’est être dans la réaction. Et être dans la réaction, c’est prendre le risque de ne pas toujours dire ce qu’il faut. De ne plus savoir quel était l’objectif, quelle était l’intention, quels étaient les besoins. Dans le cadre d’une réunion publique, il faut tâcher de garder en tête ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas. Quelle est la limite de temps ? Qui a la parole ? Quels sont les invités ? Les intervenants ? Mettre en place une sorte de charte peut aider à recadrer les débats. Et demander, en début de réunion, quels sont les besoins des uns et des autres… Si nous repérons des personnes dans la salle susceptibles d’apaiser le débat, ne pas hésiter à les interpeler… Montrer à l’opposition que leur émotion est également prise en compte passe aussi par le fait de reformuler leurs propos. Cela montre que leurs doléances sont entendues et comprises. Puis, il est temps de redonner la parole au reste de la salle en faisant comprendre que, puisque leur réalité a été entendue, il est important d’entendre également celles des autres – et de les reformuler pour accentuer cette prise en considération. Ça apaise… À chaque prise de parole doit correspondre une intention. Si une prise de parole doit vexer l’interlocuteur, mieux vaut se taire.
Anthony Diao