Comment prendre en compte les enjeux environnementaux, patrimoniaux et paysagers dans un projet d’aménagement cyclable ? Retour sur une table-ronde proposée lors des 1ères Rencontres du Réseau vélo et marche
Animée par le Cerema (Marion Ailloud, responsable du secteur Espace public et voirie urbaine) et préparée avec le Réseau vélo et marche (Lucille Morio, chargée de mission territoires peu denses), la table-ronde qui a réuni plus de 80 participants était consacrée à la gestion de projets d’aménagements cyclables dans des contextes réglementaires complexes, notamment en présence de protections patrimoniales, paysagères ou liées à la biodiversité.
L’atelier s’est nourri de contributions de collectivités maitres d’ouvrage parmi lesquelles l’Eurométropole de Metz et la communauté d’agglomération Rochefort Océan — respectivement représentées par Maxime Le Corre, responsable du pôle Mobilités à l’Eurométropole, et Claire Bourdais, chargée de mission Tourisme et Mobilités durables à l’agglomération de Rochefort —, ainsi que de l’entreprise de travaux publics Colas, représentée par Julien Bourcerie, directeur Mobilité active et Infrastructures énergétiques. Tous les trois ont partagé leurs expériences sur la conciliation entre l’objectif de produire des aménagements cyclables qualitatifs et la nécessité de tenir compte des enjeux environnementaux ou architecturaux (sites patrimoniaux remarquables, sites classés, Natura 2000, zones humides, etc.) et les exigences réglementaires qui leur sont associées. L’atelier a abordé les méthodes de pilotage, la concertation avec les services de l’État (notamment ABF et DREAL), les adaptations techniques nécessaires (choix des matériaux, périodes de réalisation des travaux, mesures compensatoires, protection des arbres et milieux naturels), ainsi que les défis rencontrés par les maîtres d’ouvrage, les concepteurs et les entreprises de travaux publics.
Des protections environnementales de différentes natures
L’atelier s’est intéressé à trois grandes familles de protections, selon qu’elles étaient liées :
- à la biodiversité et aux milieux naturels (site Natura 2000, réserve naturelle, ZNIEFF, dossier loi sur l’eau…) ;
- à la préservation de paysages remarquables (site classé, site inscrit, éléments repérés dans le PLUi) ;
- à la mise en valeur du patrimoine bâti et architectural (site patrimonial remarquable)
Pour chaque protection, il est important de s’approprier les enjeux auxquelles elle se rapporte, d’identifier les partenaires (services de l’Etat, gestionnaires…) avec qui il va falloir échanger, de se familiariser avec les procédures qui seront à suivre (autorisation ou déclaration) et comprendre leur circuit (ministériel, déconcentré, passage en commission ou non).
En tant que maitre d’ouvrage, comment concilier ces enjeux et quelles adaptations proposer lors de l’élaboration du projet ?
Le soin apporté à l’organisation et la préparation de tels projets – qui sont complexes – et la concertation à instituer avec les services en charge de ces protections sont des préalables indispensables. Pour Claire Bourdais, confrontée à la fois à des enjeux paysagers et de biodiversité (Grand Site de France, zone Natura 2000), “le pilotage des projets débute par la mobilisation de services ressources internes capables d’aiguiller vers les bonnes procédures, de partager leur expertise et de formuler des préconisations pour mener à bien les opérations dans ces sites sensibles”. Parfois, ces services sont aussi une porte d’entrée vers les partenaires institutionnels de l’Etat en charge de ces protections. “Dans le Site patrimonial remarquable (SPR) du cœur de la métropole de Metz, l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) est devenu un acteur incontournable, avec lequel les services ont pris l’habitude de travailler. L’ABF est associé aux projets le plus tôt possible afin d’exprimer ses préconisations sur un espace donné”.
Une fois le dialogue avec les partenaires instauré et quelques précautions prises, les projets sont régulièrement amenés à évoluer afin de s’adapter aux besoins et aux attentes des différentes parties prenantes. Plusieurs exemples d’évolutions et d’ajustements techniques ont ainsi été évoqués lors de cette table ronde.
- Dans des secteurs à forts enjeux paysager ou biodiversité :
- une modification du tracé de l’aménagement (pour éviter certaines zones naturelles ou encore pour limiter l’impact paysager) ;
- une limitation du volume des affouillements et terrassements ;
- un ajustement du revêtement pour limiter l’imperméabilisation et le maintien des circulations hydrauliques ;
- le maintien d’arbres et de leur système racinaire, etc.
Lorsque le projet est situé dans un site patrimonial remarquable ou dans les abords d’un monument historique, des ajustements peuvent résulter d’échanges avec l’architectes des Bâtiments de France (ABF), comme par exemple :
- pour les revêtements, l’utilisation de couleurs et de matériaux harmonieux avec les façades et l’identité chromatique de la ville (par exemple, les teintes jaunes ou rouges sont privilégiées à Metz) ;
- une modification du tracé pour maintenir des perspectives paysagères (dans un grand boulevard par exemple) ;
- une implantation de certains équipements plus discrète (arceaux de stationnement, limitation du nombre de lames sur les panneaux de signalisation directionnelle…), etc.
Dans les deux cas, il s’agit bien d’arriver à concilier les logiques « fonctionnelles » liées à la mobilité durable et inclusive d’une part, avec les enjeux de préservation de l’environnement ou de mise en valeur du patrimoine bâti.
Quelles mesures mettre en place en phase chantier ?
Dans ces secteurs particulièrement sensibles, la maitrise d’ouvrage, la maitrise d’œuvre et les entreprises de travaux sont amenées à prendre des précautions spécifiques en phase chantier. En voici quelques exemples :
- adapter le gabarit des engins de chantier,
- limiter le risque de rejet de polluants liés à l’activité de travaux (kit anti-pollution, recours à des engins électriques…),
- adapter la période de travaux, notamment par rapport au bruit : il s’agit à la fois de choisir la période de l’année la moins impactante pour les espèces (tenir compte de la période de nidification, par exemple) et d’avoir la même réflexion sur la période de la journée (effectuer les travaux en journée en cas de présence de chiroptères, par exemple),
- optimiser l’implantation de la base vie et limiter son impact (déchets et rejets liés aux consommations et aux sanitaires, stationnement…),
- garantir la stabilité des arbres à préserver et mettre en place des systèmes de protection des racines,
- réduire les émissions de poussières, par exemple avec un arrosage de surface,
- éviter l’introduction ou la prolifération d’espèces invasives, en adaptant à chaque fois les mesures aux espèces. Des protocoles qui peuvent sembler plus fastidieux pour certaines espèces comme en témoignait Julien Bourcerie : “la Renouée du Japon se traite en coupant les tiges à ras, en les séchant et les incinérant. L’Arbre aux papillons s’arrache à la main, pour les jeunes pousses ou par tronçonnage pour les sujets plus grands. Cela prend du temps mais ce sont des précautions nécessaires face à ces espèces invasives”.
Quels enseignements ?
1. Une complexité des projets à ne pas sous-estimer, se projeter sur un temps long et faire appel à des spécialistes des enjeux environnementaux
Le temps à accorder à la préparation du projet est primordial et cela à tous les niveaux, qu’il s’agisse de la maitrise d’ouvrage, de la maitrise d’œuvre ou des entreprises réalisant les travaux. Il faut savoir s’inscrire dans un « temps long » et faire appel à des compétences spécialisées notamment en biodiversité et insertion paysagère et architecturale (en interne ou auprès de prestataires privés : écologues, paysagistes…). Cela permet de s’approprier les enjeux environnementaux pour proposer des solutions adaptées.
Ainsi, à Metz, la prise en compte anticipée des contraintes liées aux arbres centenaires (exemple des platanes à l’avenue Foch) a permis d’éviter des coûts importants liés à des dommages éventuels.
2. Une construction nécessairement partenariale, par itération et alimentée par l’observation des usages et les retours terrain
Des échanges réguliers avec l’ensemble des parties prenantes sont nécessaires. Il y a beaucoup à apprendre les uns des autres, notamment la compréhension des préoccupations et exigences des organismes assurant la préservation ou la gestion de ces sites à forts enjeux environnementaux (services de l’État tels que DREAL, DDT/DDTM, ABF, gestionnaires de sites Natura 2000…). Pour associer les parties prenantes en amont, la commande publique peut s’effectuer au moyen de procédures adaptées (dialogue compétitif, conception-réalisation, marchés globaux…).
À Metz, la co-construction avec l’ABF depuis trois ans, appréciée tant par la métropole de Metz que par l’ABF, montre une meilleure compréhension mutuelle entre les préoccupations liées aux usages et aux mobilités et celles liées à la préservation des qualités du site patrimonial remarquable. Cette acculturation des différentes parties est même un prérequis ; « à partir du moment où on parle le même langage, on peut travailler ensemble », témoignait Maxime Le Corre. À Rochefort, les échanges réguliers entre la communauté d’agglomération et la DREAL et la DDTM facilitent la validation des tracés et des choix techniques.
3. Des projets complexes qui offrent une opportunité d’innover en phase projet comme en phase travaux
Un fort potentiel d’innovation existe pour résoudre ces dilemmes entre les aspects techniques/fonctionnels et les aspects environnementaux, en réunissant fournisseurs, entreprises, designers et usagers pour créer des démonstrateurs et expérimenter de nouveaux matériaux, méthodes et équipements.
L’adaptation des engins de chantier (par exemple, utilisation de mini-pelles électriques pour limiter les impacts) ou encore les tests de différentes techniques pour préserver les racines des arbres sont des exemples d’innovations opérationnelles sur le terrain.
Si la complexité de tels projets peut parfois faire craindre pour leur viabilité — abandons face à des budgets parfois gonflés, temporalité en décalage avec le temps politique —, les témoignages et exemples cités montrent qu’avec des relations de confiance et une acculturation menée en amont, il est possible de mener ces projets à bien et de trouver des compromis dans les solutions techniques.
Lucille Morio (Réseau vélo et marche) & Marion Ailloud (Cerema)
Ressources relatives aux procédures en lien avec la préservation du patrimoine architectural et paysager, et de la biodiversité :