Comprendre et agir pour la mobilité des jeunes
L’Ademe et le bureau d’études 6t publient une étude inédite consacrée à la mobilité des enfants et des adolescents (3 à 17 ans) en France, de la maternelle au lycée : « Les pratiques de mobilité des enfants de la maternelle au lycée en France ». Cette étude, qui s’appuie sur un large échantillon représentatif de parents et de jeunes, livre un panorama détaillé et qui interroge sur les pratiques de mobilité des jeunes et la prégnance des inégalités territoriales et sociales. Le Réseau vélo et marche, membre du comité de suivi de cette étude, participait à la table ronde de restitution ce 11 septembre. Voici les principaux enseignements de l’étude et des pistes d’action pour les collectivités.
Méthodologie
L’enquête repose sur un vaste questionnaire diffusé au printemps 2025 auprès de 5 000 parents en France métropolitaine et 500 parents dans les DROM, complété par un échantillon de 500 jeunes de 18 à 20 ans pour limiter les biais déclaratifs. Auto-administré en ligne (Hexagone) ou mené en face-à-face (DROM), le questionnaire portait sur les équipements, pratiques et perceptions liées à la mobilité des enfants, avec une durée de passation volontairement limitée à 12 minutes. Les données ont ensuite été nettoyées et pondérées pour garantir leur représentativité (CSP, âge, genre, territoire), avant d’être analysées à l’aide de statistiques descriptives et inférentielles.
L’autonomie en recul : une mobilité face aux inquiétudes des parents
L’étude met en lumière un phénomène intergénérationnel : l’âge des premiers déplacements autonomes recule. Les enfants d’aujourd’hui effectuent leurs premiers trajets seuls à 11,6 ans en moyenne, contre 10,6 ans pour leurs parents. Cette perte d’autonomie se retrouve sur l’ensemble du parcours scolaire :
Moins de 10 % des élèves se rendent seuls à l’école. L’entrée en sixième est un moment charnière, avec une hausse soudaine de l’autonomie (36 % en CM2, 73 % en sixième). Au lycée, plus de 90 % des élèves sont autonomes (au moins occasionnellement).
Les craintes parentales jouent un rôle central. 93 % des inquiétudes portent sur le comportement des usagers de la route (vitesse, incivilités, manque de continuité des aménagements). La marche et le vélo sont perçus comme plus dangereux qu’autrefois, alors que la voiture continue d’apparaître comme le mode le plus sûr.
Ce qui est assez paradoxal, car les chiffres de la sécurité routière disent l’inverse : il y avait mille piétons tués sur la route chaque année il y a trente ans. Aujourd’hui, il y en a 500 », note Mathieu Chassignet.
Une mobilité dominée par la voiture, même sur les courtes distances
Deux modes dominent la mobilité des enfants : la marche et la voiture. Mais leur poids évolue avec l’âge et le territoire. Dans l’Hexagone, 45 % des enfants marchent presque tous les jours pour se rendre à l’école, contre 33 % en voiture. Dans les DROM, c’est l’inverse : 54 % utilisent la voiture quotidiennement, contre 35 % la marche. Sans surprise, des différences territoriales sont observées, avec notamment une part plus importante de la marche dans les déplacements domicile-établissement scolaire dans les grandes aires urbaines (jusqu’à 66% dans l’aire urbaine de Paris) et une part plus importante de la voiture et des transports scolaires dans les zones rurales (jusqu’à 42% pour la voiture dans les zones rurales et 16% pour les transports scolaires).
Cette domination de la voiture s’explique aussi par des perceptions biaisées des distances. Les parents surestiment en moyenne de 1,5 à 2,4 km la distance domicile-école, renforçant l’usage de l’auto au détriment des modes actifs.
Les transports collectifs gagnent en importance au collège et au lycée (25 % des déplacements scolaires en Hexagone). Quant à l’usage du vélo, il reste marginal pour la mobilité scolaire (≤ 5 %), alors que 85 % des enfants en possèdent un. Il est associé aux loisirs pour trois quarts des enfants.
Des inégalités territoriales et sociales persistantes
La mobilité des enfants est fortement marquée par le territoire et le milieu social :
En zone rurale et périurbaine, les jeunes passent en moyenne 2h37 par jour dans les transports (soit +42 minutes par rapport aux urbains) et 69 % utilisent quotidiennement la voiture. Plus de la moitié jugent l’offre de bus insuffisante et près des deux tiers estiment l’offre ferroviaire mauvaise.
Dans les quartiers populaires, le sentiment d’insécurité dans l’espace public est plus fort particulièrement pour les filles. Plus urbains, les modes actifs y trouvent une place importante. A titre d’exemple, en Seine-Saint-Denis, 85 % des collégiens se déplacent en mode actif, mais l’usage du vélo reste faible (10 % mensuel).
Le milieu social reste un déterminant de la socialisation aux pratiques de mobilité. Parmi les enfants de cadres, 18 % ont un usage régulier des modes actifs, contre 10 % des enfants d’ouvriers. Les ressources matérielles (possession d’un vélo) et symboliques (valorisation des modes actifs) conditionnent fortement les pratiques.
Ces constats soulignent que l’accès à une mobilité autonome et durable dépend autant des infrastructures que du capital social et culturel des familles.
Entre socialisation genrée et appropriation différenciée de l’espace public
L’étude révèle des différences nettes entre filles et garçons. Les filles possèdent moins de vélos, bénéficient de moins d’encouragement parental et expriment davantage de craintes (30 % contre 20 % des garçons). Les parents projettent des risques différenciés : agressions et harcèlement pour les filles, risques routiers pour les garçons. Cette situation conduit les filles à limiter leurs déplacements, éviter certains lieux et rester davantage dans l’espace domestique.
La prise en compte du genre dans la conception de l’espace public devient donc un levier central pour favoriser l’égalité et l’autonomie.
L’engagement des collectivités et les recommandations
L’étude formule un ensemble de recommandations pour les collectivités et met en avant l’impact positif des politiques locales lorsqu’elles se traduisent par des actions concrètes et pérennes :
- Généraliser les Plans de Déplacements d’Établissements Scolaires (PDES) et leur donner des moyens pérennes.
Le PDES n’est pas seulement un diagnostic : c’est « un projet éducatif, un outil de planification et un levier d’aménagement » précise Thibault Hardy. Pour être efficace, il doit s’inscrire dans le temps long, avec des financements dédiés.
- Apaiser et sécuriser les abords des écoles.
Cela signifie multiplier les rues scolaires, instaurer le 30 km/h par défaut et renforcer les traversées piétonnes. Ce sont les mesures les plus attendues par les parents (41 % citent la sécurisation des espaces piétons comme priorité). Un espace apaisé, continu et lisible est la première condition de l’autonomie des enfants.
- Développer une véritable culture de la mobilité active.
Au-delà des infrastructures, il s’agit d’accompagner les pratiques : savoir rouler à vélo (SRAV), ateliers parents-enfants, défis interclasses, pédagogies intégrées dans les programmes scolaires. Ces démarches rendent visibles les progrès et installent de nouvelles habitudes.
- Inclure la mobilité des jeunes dans les politiques territoriales.
Les Plans de Déplacements Urbains (PDU), PCAET et contrats de ville doivent intégrer systématiquement la mobilité des enfants et des adolescents. Les trajets scolaires représentent 40 % de leurs déplacements quotidiens : un levier puissant pour agir sur l’ensemble des mobilités.
- Intégrer le prisme du genre dans les diagnostics et les aménagements.
Les inégalités sont fortes : en Seine-Saint-Denis, 30 % des collégiennes évoquent des craintes de sécurité contre 20 % des garçons. Intégrer ces réalités dans les indicateurs de suivi est indispensable pour ne pas invisibiliser une partie de la jeunesse.
Un bilan clair mais quel soutien pour les collectivités ?
Pour le Réseau vélo et marche, cette étude constitue un appui majeur à nos actions et à notre plaidoyer. Elle confirme que les collectivités locales sont au cœur de la transformation des mobilités quotidiennes des enfants et des jeunes.
Elle rappelle surtout la nécessité :
- D’obtenir un financement national durable du Savoir rouler à Vélo. Les démarches engagées par les collectivités ne peuvent porter leurs fruits que si elles s’inscrivent dans le temps long. Nous plaidons pour la mise en place d’un fonds national pérenne, garantissant la continuité des projets et la montée en puissance des mobilités actives.
- De renforcer le partage d’expériences entre collectivités et la valorisation des initiatives locales. Chaque territoire invente ses propres solutions – rues scolaires, diagnostics participatifs, protocoles avec les polices municipales, dispositifs pédagogiques. Le réseau vélo et marche joue un rôle clé de mise en relation et de mutualisation, afin que les bonnes pratiques circulent et inspirent d’autres collectivités.
Les chiffres clés
Âge d’autonomie en recul :
- Aujourd’hui : 11,6 ans pour le premier déplacement seul. Parents : 10,6 ans à leur époque. Seuls 24 % des 8-11 ans se déplacent seuls (contre 86 % dans les années 1970).
Modes de déplacement :
- Marche : 45 % des enfants en Hexagone l’utilisent presque tous les jours.
- Voiture : 33 % en Hexagone, mais 54 % dans les DROM.
- Vélo : 85 % équipés, mais ≤ 5 % l’utilisent pour l’école.
- Loisirs : 74 % des enfants pratiquant le vélo le font uniquement pour les loisirs.
Inégalités territoriales :
- Jeunes ruraux : 2h37/jour dans les transports (+42 min vs urbains). 69 % l’utilisent quotidiennement la voiture. 53 % jugent l’offre bus insuffisante.
Genre et espace public :
- 30 % des collégiennes citent la peur pour leur sécurité (contre 20 % des garçons). Les filles possèdent moins de vélos et bénéficient de moins d’encouragement parental.
Représentations parentales :
- 93 % des craintes portent sur la sécurité routière et le comportement des autres usagers. Seuls 10 % des parents jugent le vélo sûr.
À suivre…
Nos événements offrent des espaces de visibilité et d’échanges, mais aussi de prolongement des discussions engagées dans le cadre de nos clubs territoriaux :
- Les RNTP à Orléans (4-6 novembre) : un espace pour mettre en avant les politiques vélo et marche à grande échelle, avec notamment une séquence consacrée à l’écomobilité scolaire le mercredi 5 novembre 2025 à 16h00 (durée 1h).
- Les Rencontres Mobiscol 2025 à Montpellier (20-21 novembre) : deux jours pour rassembler collectivités, associations, acteurs économiques et institutionnels autour de l’écomobilité scolaire.
- Nos webinaires thématiques : des temps réguliers d’éclairage et de diffusion des retours d’expériences, accessibles à toutes nos collectivités adhérentes.
Pour en savoir plus ou témoigner de vos actions : Thibault Hardy