« Changer de moteur ou changer de système de mobilité ? » – Entretien avec Tom Dubois, porte-parole du Forum Vies Mobiles

Tom Dubois, porte-parole du Forum Vies Mobiles, présentait en avant-première l’étude en cours pour penser un système de mobilité réellement alternatif à la voiture individuelle, adapté à tous les territoires. Interview issue du webinaire organisé par le Réseau vélo et marche le 18 avril dans le cadre du Club Départements et avec le soutien du programme AVELO 3.

Pourquoi imaginer un système alternatif à la voiture ?

Le Forum Vies Mobiles travaille depuis deux ans sur le système alternatif à la voiture (SAV). L’idée est née d’un constat : malgré des décennies d’investissement dans les alternatives à la voiture, les effets restent faibles. Pourquoi ? Parce qu’on se contente souvent d’ajustements à la marge. Le SAV propose au contraire un système cohérent, complet, accessible à tous et sur tous les territoires.

Quelles sont les principales erreurs que vous identifiez dans les politiques actuelles de mobilité ?

La première, c’est de raisonner à partir de moyennes sans prendre en compte la grande diversité des situations : c’est par exemple ce qui a provoqué un violent rejet de la taxe carbone au moment des Gilets jaunes. On oppose aussi ville et campagne, alors que c’est un ensemble de relations complexe : 20 % de la population vit en pleine campagne, mais 70 % des trajets se font hors métropole. On se concentre également encore trop sur les déplacements centre-périphérie ou sur les déplacements domicile-travail, alors que ces derniers ne représentent qu’une petite partie des kilomètres parcourus chaque jour.

Autre erreur : additionner les politiques mode par mode (rail, route, vélo) sans cohérence. On oublie aussi que beaucoup de Français ne sont pas « attachés » à leur voiture : ils en sont juste dépendants. On pense souvent que la voiture, c’est la liberté : c’est oublier tous ceux qui sont exclus de la conduite, structurellement – les jeunes, les personnes en situation de handicap… – ou conjoncturellement – difficultés à conduire dans certains espaces, à conduire la nuit, ou simplement financer ses trajets… En fait, seulement 18 % des détenteurs du permis de conduire peuvent prendre le volant sans contrainte. Pour tous les autres, il y a des complications et des empêchements à répétition.

Ce que nous proposons, c’est un système qui libère les gens, au lieu de les contraindre. Nous considérons, par ailleurs, que la voiture électrique est une fausse solution. Elle ne résout ni les inégalités d’accès, ni les problèmes d’aménagement du territoire, ni ceux liés aux ressources ou à l’environnement. C’est une impasse sociale, industrielle, environnementale et même planétaire. Le SAV, lui, propose un système soutenable et désirable.

Comment avez-vous construit ce scénario ? Quelle méthodologie avez-vous suivie ?

L’ingénieur Pierre Helwig a imaginé un système idéal à l’échelle d’un département fictif – une maille qui fait sens historiquement pour une mobilité « post-voiture ». Puis les bureaux d’études Vizéa et BL évolution ont décliné le SAV sur sept départements pilotes, représentatifs de la diversité des territoires (ruraux, intermédiaires, métropolisés).

Le système repose sur un principe central – réutiliser au maximum les infrastructures existantes en prenant de la place à la voiture – et trois piliers : un rail rénové et cadencé, des transports collectifs routiers fréquents et cadencés également et un maillage cyclable et marchable continu, y compris en zones rurales.  Le vélo et la marche jouent un rôle central avec entre 1 500 et 3 000 km de voies dédiées à la marche et au vélo par département, soit jusqu’à 20 % du réseau existant réaffecté. Ces aménagements comprennent : des pistes cyclables interurbaines sécurisées le long des routes départementales ; des vélorues sur routes peu circulées en zones rurales ; un réseau urbain connecté aux centres et aux pôles d’échange multimodaux.

L’intermodalité est au cœur de ce système : horaires harmonisés, tarification unique, information fluide. L’inspiration vient du modèle suisse, dense, cadencé, fiable.